IMPORTANT ARTICLE PARU DANS "MOUVEMENTS RELIGIEUX" revue dirigée par Bernard Blandre.(Avec autorisation de publier sur mes blogs )
Mouvements religieux d’octobre- novembre 2007 présentait l’Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours (FLDS) qui, totalement séparée de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, continue à pratiquer la polygamie abandonnée par l’Eglise - mère depuis 1890. Le même article mentionnait les oppositions qu’elle suscitait aux Etats-Unis et au Canada où elle est implantée et notamment la condamnation de son prophète, Warren Jeffs, à dix ans de prison le 20 novembre 2007. Les ennuis ne se sont pas arrêtés là …
En 2003, l’Eglise a installé une importante colonie à Eldorado (Texas), au Ranch du désir de Sion (yearning for Zion), à quelque 200 km. Au nord-ouest de San Antonio. Sur un domaine de 690 hectares dont une partie occupée par des vergers, elle a installé une dizaine de maisons, des écoles fréquentées par plusieurs centaines de jeunes, un dispensaire, un temple, une fromagerie et une cimenterie. Le complexe était habité par une soixantaine d’hommes et des dizaines de femmes vêtues comme à l’époque victorienne. Le coût de l’achat s’était élevé à 700 000 $.
Le 29 mars 2008, une adolescente de seize ans a appelé au téléphone une association d’aide aux victimes de violences familiales pour l’informer qu’elle avait été mariée spirituellement à un polygame de 49 ans qui lui avait fait un enfant et dont elle était de nouveau enceinte. Elle dit avoir été battue devant les autres épouses de son mari puis a manifesté sa crainte des conséquences de son appel : on lui avait dit que si elle sortait les gens lui raseraient la tête et la violeraient, et que son bébé resterait dans la communauté. Elle interrompit la conversation sans dire son nom. L’association fit alors appel à la police, qui investit le ranch le 3 avril. Au total en quelques jours 439 enfants, principalement des filles, furent évacués des lieux malgré les tentatives des parents de les dissimuler, et confiés aux services sociaux. 139 femmes dont plusieurs jeunes mères – l’une, âgée de seize ans, avait déjà quatre enfants – profitèrent de l’occasion pour quitter le ranch.
Les premières constatations des services sociaux qui ont pris les enfants en charge ont été qu’ils avaient vécu sans jamais sortir de Short Creek parce qu’on leur avait présenté le monde extérieur comme hostile et immoral. Ils n’avaient pas fréquenté des écoles publiques et avaient l’aspect de personnes vivant dans le passé : les filles avaient des tresses et étaient vêtues comme des pionnières de la conquête de l’Ouest. Il a été jugé nécessaire de les présenter à des experts de la santé mentale et du comportement.
La perquisition a permis de constater que le temple était doté de plusieurs lits utilisés pour la célébration de mariages spirituels. La police en a conclu que la secte avait la volonté de réduire les enfants à l’état d’esclaves sexuels.
Ce n’est pas la première fois que l’Eglise fondamentaliste des saints des derniers jours est l’objet d’une action de grande envergure. En 1953 à Short Creek, dans l’Arizona près de la frontière de l’Utah 150 enfants avaient été arrachés à leurs familles sous les yeux des photographes et des journalistes, donc de l’opinion publique qui s’était indignée. L’Attorney général de l’Arizona avait dû s’excuser et rendre les enfants à leurs parents. L’Etat dut financer la construction d’un monument commémoratif de l’événement. Devenus adultes, plusieurs enfants de Short Creek séjournaient à Eldorado.
Les raisons religieuses de la polygamie des Mormons fondamentalistes
Comme il est précisé ci-dessus, la police du Texas en constatant la présence de lits dans le temple d’Eldorado a conclu que les dirigeants de la FLDS voulaient faire des enfants des esclaves sexuels, ramenant ainsi leur pratique à une débauche pédophile.
Il n’est évidemment pas question ici de nier les motivations sensuelles de la polygamie qui n’est pas comprise ni admise par l’opinion publique, ni même par les Mormons de l’Eglise- mère, l’Eglise de Jésus Christ des Saints des derniers jours. En témoigne une réaction d’un mormon auto – surnommé Jeff, membre de la grande Eglise depuis un an, publiée sur Internet à propos de l’article du Figaro du 7 avril 2008 (nous en respectons l’orthographe) :
Les mormons ont ete persecute au etats unis depuis le commencement de la religion. A cause des persecuteurs ils ont du migre vers d’autre endrois pour vivre. Durant cette migration beaucoup d’homme sont mort. Il n’y avais plus asser d’homme pour servenir à leur besoins. Comme mesure d’extreme urgence la polygamie a ete instaure. Malheureusement certaine personne en on abuser mais elle a ete interdite plus tard car elle n’etait plus necessaire »
Cette intervention montre la grande ignorance de l’intervenant qui voit dans l’instauration de la polygamie une mesure de circonstance destinée à pallier le manque d’hommes, comme si les femmes avaient été plus nombreuses et résistantes durant la migration vers l’Ouest. Déplorer que « certains aient abusé », c’est ignorer que les deux premiers prophètes mormons, Joseph Smith et Bringham Young, ont été les premiers à donner l’exemple en épousant chacun plusieurs dizaines de femmes. En fait, quoiqu’on en pense, les raisons religieuses de la polygamie sont plus profondes. Elles tiennent à la conception générale du destin de l’homme et de l’eschatologie.
Selon les Mormons, il existe une multitude d’esprits qui sont heureux sans le savoir, parce qu’ils ne savent pas ce qu’est être malheureux. C’est la raison pour laquelle ils doivent être incarnés et vivre sur terre pour savoir ce qu’est la souffrance, après quoi ils redeviennent des êtres purement spirituels dans l’attente de la résurrection. C’est donc un devoir religieux de participer à l’incarnation des esprits en procréant un maximum d’enfants. C’est ainsi que l’on peut expliquer – sans forcément justifier, évidemment – le fait qu’un homme épouse un maximum de femmes, ne serait-ce que pour qu’elles soient les plus fécondes possibles dans le cadre de la famille mormone. Ce serait pour la même raison que dans l’Eglise fondamentaliste les jeunes filles sont mariées, même de force, dès le début de la puberté à l’âge de treize ans. Il s’agit de faire des enfants dès que possible pour en concevoir le plus possible. On aura noté qu’une jeune mère sortie du ranch d’Eldorado avait déjà quatre enfants à l’âge de seize ans, et que la jeune anonyme qui a donné l’alerte en téléphonant était enceinte de son deuxième enfants à seize ans, huit mois après avoir mis au mode son premier né. Les pères étaient peut-être des vieux lubriques, mais dans le cas présent c’est l’idéologie qui explique ou donne une justification à leur comportement. Qu’est-ce qui a amené la condamnation de Warren Jeffs en 2007 ? La complicité de viol. Et pourquoi ? Parce qu’il a forcé à se marier à quatorze ans la demoiselle surnommée Jane Doe IV en lui ordonnant de « se multiplier et remplir la terre d’enfants élevés dans le sacerdoce » et, lorsque plus tard elle lui a dit qu’elle détestait les relations avec son mari il la renvoya en lui donnant l’ordre de « rentrer et de faire ce qu’il lui disait ».
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la découverte de lits dans le temple d’Eldorado. On sait que les temples mormons sont des espaces interdits aux non- mormons et même sauf événements religieux particuliers à ceux qui ne sont pas titulaires de la prêtrise de Melchisédech. On a pourtant des informations à leur sujet grâce aux témoignages (mais contradictoires) de dissidents et parce qu’il est possible de les visiter à l’occasion d’opérations portes ouvertes précédant leur consécration. Nous savons donc qu’il y existe des « chambres particulières destinées à unir un couple en un mariage éternel » comme dans celui de Zollikofen, en Suisse. Ce qui se passe concrètement dans ces chambres, c’est ce que le profane ne sait pas ; nous savons que c’est en relation avec une cérémonie qui consiste à sceller les mariages pour l’éternité, condition sine qua non pour que les familles restent unies après la mort. Il est possible que pour les Mormons fondamentalistes ce soit l’occasion d’une nuit de noces lors de laquelle la participation du nouveau couple à l’œuvre de l’incarnation des esprits commence.
Bernard Blandre
Sources : Des dépêches de l’AFP, 7, 8 et 10/4/2008. Philippe GRANGEREAU, Depuis une semaine, la police perquisitionne le siège d’une secte intégriste, Libération.fr, 12/4/2008. Stéphanie SCHULER, Plus de 400 enfants retirés d’une secte mormone, RFI, 8/4/2008. Le Monde, 8/4/2008, d’après des dépêches de l’AP et de Reuters. 219 femmes et enfants évacués d’une secte au Texas, Le Figaro.fr, 7/4/2008. Secte au Texas : les signes d’abus sexuels s’accumulent, Le Républicain lorrain, 11/4/2008. La citation ci-dessus concernant les chambres du temple de Zollikofen est extraite de la brochure anonyme Le temple mormon à Zollikofen. Suisse, s.l.n.d. Ce document, non suspect d’intention malveillante parce qu’édité par l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, m’avait été utile pour la rédaction de mon mémoire de maîtrise La communauté mormone de Nancy, inédit, consultable à la bibliothèque de la Faculté de lettres et sciences humaines de Nancy, 1971. Ce temple a été inauguré le 5 août 1953 et consacré le 11 septembre 1955. Secte du Texas : les autorités confrontées à l’inadaptation des enfants au monde extérieur (sur http://www.topchretien.com, 13/4/2008)
Document
L’Eglise mormone prend ses distances avec ses dissidents polygames
Dépêche de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours. 29 août 2006
Salt Lake City, le 29 août/CNW/ - Il a été question à plusieurs reprises dernièrement de l’arrestation du leader polygame fugitif Warren Jeffs, dont le nom figure sur les listes des personnes les plus recherchées par le FBI.
Certain médias ont pris la peine de préciser que Warren Jeffs est le « leader fugitif d’une secte polygame ». D’autres par contre le décrivent comme étant un « mormon », un « mormon intégriste » ou encore comme le leader d’une « secte de mormons ».
On peut discuter du sens du terme « mormon » mais des expressions bien connues comme la « Mormon Tabernacle Choir », le « Temple Mormon » et les « missionnaires Mormons » sont comprises par tous comme ayant trait à l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours qui compte 12 millions d’adhérents. Le fait de qualifier Warren Jeffs de mormon ne fait que créer de la confusion chez bien des gens qui, avec raison, associent le terme mormon avec l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.
Les renseignements suivants seront utiles pour faire la distinction qui s’impose :
Warren Jeffs n’est pas un mormon.
Warren Jeffs n’est pas membre de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et ne l’a jamais été.
Les mormons ne pratiquent pas la polygamie.
L’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours n’approuve plus les pratiques
polygames depuis 1890.
En 1998 le président Gordon B. Hinckley a déclaré : « Je tiens à rappeler catégoriquement que notre Eglise n’a absolument rien à voir avec
les personnes qui pratiquent la polygamie. Ces dernières ne sont pas membres de notre Eglise. La majorité d’entre elles n’en ont jamais été membres. Ces personnes violent la loi civile
… »
Si on découvrait que certains des membres de notre Eglise sont mariés à plus d’une personne, ils seraient excommuniés, ce qui est la pénalité la plus grave que peut imposer notre Eglise. Non seulement ces personnes violent la loi civile mais aussi la loi de notre Eglise.
Il n’existe pas d’ « intégriste mormon » ni de « secte mormone »
Le terme « mormon » est un sobriquet qu’utilisent habituellement les membres de l’ ’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Il n’existe pas d’ « intégriste mormon », ni non plus de « secte mormone ». Un terme approprié pour décrire de tels groupes serait des « sectes polygames ». L’utilisation du terme « mormon » porte à confusion et n’est pas exacte.
Ce document peut être consulté sur Internet en langue anglaise sur le site http://www.lds.org/newsroom/showrelease/0,15503,3881-1-23938,00.html ou en français sur http://www.sdj-mormons.net
On aura compris que ce document a pour but de signifier au public que la grande Eglise mormone, l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, prend ses distances avec l’Eglise fondamentaliste des Saints des derniers jours qui fait l’objet de l’attention des médias : selon elle Warren Jeffs n’est pas mormon et les polygames pas davantage, car il n’existe pas d’autres mormons que ses douze millions de membres. Dans un monde occidental judéo chrétien résolument monogame et qui a la pédophilie en horreur, voir utiliser le mot « mormon » pour qualifier une secte en butte avec la justice est d’autant plus inadmissible pour l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours que dans l’affaire Jeffs – Eldorado elle n’est impliquée en rien.
Nier le caractère mormon des fondamentalistes n’est pourtant pas possible. Ce mot ne peut pas qualifier qu’une seule Eglise, fût elle la plus grande. Il qualifie un
mouvement religieux qui regroupe des dizaines d’organisations. Qu’est-ce qui, au-delà des différences, qualifie un mouvement religieux ? Le fait qu’il existe une filiation historique entre
les différentes Eglises, et qu’en conséquence ces Eglises partagent un corpus doctrinal commun. C’est bien le cas ici : l’Eglise des saints des derniers jours et sa parente fondamentaliste
se réfèrent au même canon de livres saints qui inclut le Livre de Mormon (d’où le sobriquet) et Doctrines et
alliances qui contient la fameuse section 132 sur laquelle se fonde la polygamie. Malgré la renonciation au mariage plural en 1890, la grande Eglise n’a pas retiré cette section de ce
recueil. En ce sens, l’Eglise fondamentaliste est plus fidèle à l’héritage religieux du prophète Joseph Smith que la grande, et donc l’expression « intégristes mormons » qui est
utilisée pour qualifier ses membres est pleinement justifiée. L’expression « secte mormone » est tout aussi fondée puisqu’une secte est un groupe humain qui vit en marge de la société
et que l’Eglise fondamentaliste vit précisément en autarcie pour rester fidèle aux prescriptions de la section 132 qui a donné au mormonisme originel l’un de ses caractères les plus
originaux.
Cette précision de l’historien apportée, répétons que l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers jours (la grande) n’a aucune responsabilité dans les affaires de polygamie actuelles. Elle est victime de son héritage religieux avec lequel elle a pourtant pris ses distances depuis plus d’un siècle.
Bernard Blandre