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Quand la parole du pasteur ou du prophète en vient à primer sur le référentiel biblique, on se situe dans un premier scénario de dérive: l’emballement de l’autorité charismatique. Contrairement aux idées reçues, il ne menace qu’exceptionnellement les milieux fondamentalistes, qui paraissent au contraire bien protégés. Dans l’optique fondamentaliste, c’est, en effet, la doctrine qui prime. Le pasteur-prédicateur est soumis, comme les autres, au respect de la doctrine défendue par le groupe. Face à l’autorité pastorale, les fidèles disposent, par conséquent, d’une solide marge de manœuvre. Dans une culture pentecôtiste/charismatique où prime l’interface avec un « Dieu des miracles », les choses changent. L’autorité pastorale ne dépend plus autant d’une prédication orthodoxe. Elle s’appuie moins sur la légitimité du pasteur/docteur que sur celle du pasteur/prophète, intermédiaire privilégié entre la divinité et les humains. A l’extrême, l’élément régulateur n’est plus la doctrine, mais le charisme du pasteur, qu’il soit prophète ou guérisseur (souvent les deux). Dans ce scénario, la voix de Dieu peut tendre à s’identifier avec celle du pasteur-médiateur. Dès lors, quel recours pour les fidèles? Contester les compétences du prédicateur ne suffit pas, ici, à desserrer le poids de l’autorité pastorale, dans la mesure où la mise en cause tend à être réinterprétée comme une contestation de l’onction divine. On peut en arriver alors à se rapprocher du profil « secte à gourou » tel que les médias l’ont popularisé, c’est-à-dire d’un groupe dominé par un leader impérieux, dont l’autorité ne dépend ni d’une légitimité institutionnelle, ni d’une légitimité doctrinale: sa seule substance est le charisme du leader, instauré en norme suprême, à la tête d’une « structure pyramidale »11. A l’image de ce fils de président français qui développa ses entreprises en jouant sur sa ligne directe avec l’Elysée, ce qui lui a gagné le surnom de « Papa-m’a-dit », certains prédicateurs authentifient leur autorité par un « Dieu-m’a-dit », qui ne souffre pas la contestation… quitte à couvrir des abus.
Ce processus ne s’applique naturellement pas à l’ensemble du milieu pentecôtiste ou charismatique français. La majorité des Eglises qui se réclament de cette mouvance, à commencer par la plupart des Assemblées de Dieu (ADD), maintiennent, face au charisme du leader, le contrepoids de la doctrine. Il y a bien un « véritable biblicisme » pentecôtiste, souligne Jean-Paul Willaime12, rejoint par de nombreux travaux consacrés depuis quelques années à ces milieux13. Cette régulation doctrinale, qui autorise à intégrer, en tout cas dans le contexte français, les milieux pentecôtistes et charismatiques au protestantisme évangélique, se traduit par un encodage subtil qui encadre plus qu’il n’y paraît le pouvoir charismatique. En revanche, certaines composantes du charismatisme, en particulier dans ses dernières vagues, s’ouvrent plus volontiers vers de nouveaux charismes, dès lors que la Bible ne paraît pas les interdire explicitement. Au nom de la supériorité de l’« Esprit » sur la « lettre », l’action miraculeuse de Dieu n’est pas nécessairement normée par le texte biblique, ce qui ouvre grande la porte aux entrepreneurs charismatiques.(.........................................)
S .FATH in REVUE REFORMEE